mardi 15 mars 2011

Tuesday self portrait (des baisers, toujours)

"Ah c'est si bon d'être assis, ici, dans l'obscurité de ces livres. Je ne suis pas fatigué. Par le nombre des livres entrés, la soirée a été moyenne : 23 se sont retrouvés bienvenus sur le chemin de nos rayons. 
Pour chacun, j'ai inscrit le titre, l'auteur et quelques commentaires descriptifs dans le Grand registre des auteurs & matières de la bibliothèque. 

Bel amour toujours, de Charles Green. L'auteur avait la cinquantaine et il m'a dit qu'il était à la recherche d'un éditeur depuis le jour où il avait écrit ce livre. Il avait, à l'époque, dix-sept ans. 
"Ce livre détient le record du monde des refus, a-t-il dit. Il a été refusé 459 fois et maintenant, je suis un vieil homme."

Jusqu'au petit jour, ses baisers, de Susan Margaret. L'auteur était une femme entre deux âges, abominablement laide et avec l'air de n'avoir jamais été embrassée de sa vie. Il fallait y regarder à deux fois pour s'apercevoir qu'il y avait des lèvres dans son visage. C'était une grande surprise de découvrir finalement sa bouche, entièrement masquée par son nez. 
"C'est un livre sur les baisers", a-t-elle dit. 
Elle devait, j'imagine, avoir passé l'âge des subterfuges. 

Dans ma maison un grand cerf, de Richard Brautigan. L'auteur était grand et blond, avec une longue moustache jaune qui lui donnait l'air anachronique. On aurait dit quelqu'un qui se serait trouvé plus à son aise dans une autre époque. 
C'était la troisième ou la quatrième fois qu'il apportait un ouvrage à la bibliothèque. A chaque nouveau livre, il avait l'air un peu plus vieux, un peu plus fatigué que la fois précédente. Il avait encore l'air jeune, du temps où il avait apporté son premier livre. Je ne me souviens plus du titre, mais cela parlait, je crois, de quelque chose, en Amérique. 
"Et celui-ci, de quoi parle-t-il ?" lui ai-je demandé parce qu'il avait l'air de quelqu'un qui attend qu'on lui pose une question. 
"Bof, c'est un livre. Sans plus", a-t-il répondu. 
J'avais dû mal interpréter son air d'attendre."
Richard Brautigan. L'avortement

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