samedi 25 juin 2011

Ciel d'Ostende

Il y a une certaine indécence à ne pas quitter son lit de la matinée pour y lire L'établi de Robert Linhart.
Mais seule la pluie me délivre de la tyrannie des petits matins. 
Seule la pluie m'autorise au sommeil, à la paresse entre les draps. 
"Une 2CV faite, une autre à faire... Je calcule. Cent cinquante par jour. Deux cent vingt jours par an. En ce moment, fin juillet, Mouloud doit en être à peu près à la trente-trois millième. Trente-trois mille fois dans l'année, il a refait les mêmes gestes. Pendant que des gens allaient au cinéma, bavardaient, faisaient l'amour, nageaient, skiaient, cueillaient des fleurs, jouaient avec leurs enfants, écoutaient des conférences, se goinfraient, se baladaient, parlaient de la Critique de la Raison pure, se réunissaient pour discutailler des barricades, du fantasme de la guerre civile, de la question du fusil, de la classe ouvrière comme sujet et des étudiants comme substitut du sujet et de l'action exemplaire qui révèle et de détonateur, pendant que le soleil se levait sur Grenade et que la Seine clapotait doucement sous le pont Alexandre III, pendant que le vent couchait les blés, caressait l'herbe des prairies et faisait murmurer les feuillages dans les bois, trente-trois mille carcasses de 2CV ont défilé devant Mouloud depuis septembre, pour qu'il soude trente-trois mille fois les même interstice de cinq centimètres de long, et chaque fois il a pris son bâton d'étain, son chalumeau, sa palette. Droit, les tempes grises, les yeux un peu usés, quelques rides supplémentaires, me semble-t-il."
Robert Linhart. L'établi.

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