samedi 29 octobre 2011

L'obligation

"Je vais vous raconter quelque chose, c'est pour ça que je vis, d'ailleurs la plume ne tient pas à l'os nu, et vous, c'est peut-être pour ça que vous avez acheté ce livre, pour savoir ce qui se passe chez les autres, et c'est magnifique, sauf que je ne me suis rien permis de bien nouveau, moi, et que je n'ai l'intention d'aller nulle part. Mon histoire à moi parle d'amour, je le dis tout de suite."
"Peut-être devrais-je maintenant mettre un deux en chiffres romains, pour donner le temps de boire un thé et marquer une pause. Indiquer que quelques jours ont passé ou un truc de ce genre. Qu'il y a cependant une continuité dans le texte et qu'il évolue logiquement, par degrés. A ceci près que je ne suis pas pressé, moi, et que la vision de la fin ne me poursuit pas, bien que je connaisse et le dénouement et le nombre de repas en cours de route. 
Moi je suis bien comme ça et je vous remercie beaucoup. Que le thé infuse lentement et refroidisse sans hâte. Que le sucre fonde posément. Mais peut-être vous faudrait-il, à vous aussi, quelque chose de plus concret pour accompagner le thé, un petit oeuf, par exemple, mais pas à la viennoise, pourquoi tout de suite faire élégant, je recommande l'oeuf dur, quinze minutes à partir du moment où l'eau bout, on peut en ajouter deux à tout hasard. Et veillez aussi à bien étaler le beurre, mettre des morceaux froids sur la tranche ça n'a pas de sens, que le beurre ramollisse d'abord. Moi, pendant ce temps, je vais me frotter les yeux, me plaquer les cheveux et finir de boutonner ma chemise pour mériter aussi une tartine."
Marek Bienczyk. TERMINAL

Le détective qui m'aurait prise en filature, ce jour-là, n'aurait pas été essoufflé à la fin de la journée. 
Mais aurait-il décelé le but de mon itinéraire ? 
Se serait-il aperçu que l'unique contrainte de mon emploi du temps était d'être
-tout au long du jour- 
là où le soleil brillait le plus pour qu'il répande sur mon livre et sur mes bras une chaleur qui me faisait plisser les yeux ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

elle répondit : "Que le thé infuse lentement et refroidisse sans hâte" ; oui je vous assure - et eux ils peuvent vous le dirent aussi - ils étaient tous là quand elle l'a dit - on est tous témoins - j'invente rien.

"un petit oeuf, par exemple, mais pas à la viennoise, pourquoi tout de suite faire élégant," elle l' a dit aussi - demandez leur - non j'invente rien.

Marek ne faisait que l'interrompre par des moments de silence ; il faut la retrouver , il faut impérativement la retrouver pour écrire
la fin du livre.

Il se frotta les yeux, se plaqua les cheveux et finit de boutonner sa chemise pour mériter aussi une tartine.

"pourquoi tout de suite faire élégant," elle l'avait dit, elle était assise là, au soleil.

Marek tourna la page, lisant ce qu'il n'avait jamais
écrit.