dimanche 27 novembre 2011

La vie voyageuse (en Yamanote)


 La ligne Yamanote (山手線) est une ligne ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo. Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes. Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.

UGUISUGAMI
Les réveils de l'hiver sont lumineux mais frileux. 
Alors elle marche jusqu'au café et, au deuxième étage, s'installe pour quelques heures sur le canapé grenat. 
Sur la table, elle empile ses livres et ses carnets. Elle étend ses jambes, plonge sa cuillère dans la mousse épaisse et chaude du lait de soja.

Tous les matins, ponctuellement, il allume son ordinateur, mord dans un feuilleté à la saucisse, boit bruyamment les premières gorgées de son café brûlant, branche son casque et se connecte sur un site d'informations permanentes. 

Ils portent le même uniforme, arrivent les uns après les autres et s'installent sur des tables voisines. Ils échangent quelques blagues. Puis ils ouvrent leurs livres et leurs cahiers et se taisent. Ils font tourner leur crayon entre leurs doigts pendant qu'ils réfléchissent, concentrés, le dos rond, les cheveux devant les yeux. 

Avant de commencer à le manger, elle photographie son gâteau au chocolat à l'aide de son téléphone. 

Elles ont déposé les enfants à l'école, elles s'échangent les dernières nouvelles. Puis restent un moment sans rien dire, les yeux dans le vague, avant de débarrasser la table et de repartir. 

Sa mine est chiffonnée. Elle étouffe un bâillement, émiette son muffin et aspire à la paille des petites gorgées de son café glacé. Elle dégage son front en attachant ses cheveux. Puis, dissimulée derrière son miroir, elle superpose les fards et les poudres, courbe ses cils, laque ses lèvres. A la fin de son petit déjeuner, elle est métamorphosée, magnifiée. 

Il retire le sachet de thé de son gobelet, lit quelques pages de son livre puis pose la tête sur ses bras croisés sur la table et s'endort instantanément. 

Elle s'assied sur le bord du fauteuil en velours aubergine. Le dos très droit, elle déplie sur ses genoux sa serviette en éponge qui ne la quitte pas. Elle savoure lentement son cheese-cake en camouflant sa bouche derrière sa main, lisse pensivement une mèche de cheveux, consulte son téléphone. A la fin du gâteau, elle ouvre on agenda et colle un autocollant dans l'après-midi de la page du lendemain.

Il arrive à dix heures, invariablement. De son livre, il ne lève pas les yeux, souligne quelques passages. Il descend commander un autre café quand sa tasse est vide. A onze heures et demie, il part. 

Il arrive toujours en avance. Il corrige des exercices en attendant. Il a les cheveux blonds et bouclés. Elle arrive ensuite. Elle n'est jamais en retard à son cours d'anglais. 

Elles s'installent côte à côte sur le canapé en recouvrent leurs genoux de leurs vestes. Elles rient beaucoup, elles feuillettent un magazine de mode. Avec gourmandise, elles aspirent la crème chantilly de leurs boissons glacées et, régulièrement, s'exclament C'est bon ! 

A la fin de la matinée, elle glisse un marque-page dans son livre et quitte le canapé. 
Au carrefour, ils sont déjà une dizaine à attendre pour traverser. Pendant que le feu est rouge, elle ferme les yeux et tend son visage vers le soleil et le ciel bleu. 

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