samedi 31 mars 2012

il dit :

Regarde le ciel
il est 
              bleu 
comme 
j'sais pas 
quoi 
!

vendredi 30 mars 2012

Le cabinet des rêves 64

Je suis avec E. et d'autres personnes dans une voiture de location (une espèce de 4x4) qu'il faut rendre en la laissant sur le parking d'Auchan Olivet dans la zone A1. 
Or, nous sommes dans une autre partie du parking. 
C'est E. qui conduit et il fait demi-tour.
Au feu, un bus nous colle de très près.
E. recule pour éviter tout contact avec lui. 

Rêve du 25 février 2012

jeudi 29 mars 2012

un air révolutionnaire

Malgré le changement d'heure, la nuit était déjà tombée dans ce que, maintenant, je nomme le quartier de l'insurrection.
C'est le vent qui, ce soir-là, créait le spectacle.
Car, emportés par une joyeuse tornade, papiers gras et canettes se pourchassaient et dansaient la carmagnole.

mercredi 28 mars 2012

hanami

Et puis, dans ma vie, il y eut les fleurs.
Et je tombai amoureuse du printemps.
 Peu de choses, expliquait-il, lui avaient semblé plus troublantes que l'ivresse collective des Japonais, en avril, devant les cerisiers en fleur. Une nuit de pleine lune, se souvenait-il, il avait même vu deux couples pique-niquer sous l'unique cerisier d'un cimetière reculé de banlieue à seule fin de ne pas manquer la pluie de pétales s'abattant au moindre renforcement de la brise qui, à l'évidence, aurait dénudé l'arbre avant l'aube.
Marcel Cohen. FAITS lecture courante à l'usage des grands débutants.

mardi 27 mars 2012

Tuesday self portrait (un verbe du premier groupe)

S'il y avait un verbe 
soleiller. Ou 
cielbleuter
Je saurais parfaitement le conjuguer.

D'abord je me dis oui, que ça change forcément des choses, quand t'es aimée. En même temps je me dis que ça dépend des gens, pas de l'affection que t'as simplement reçue ou pas, mais des gens, comment t'es fait, toi. T'as des gens tu peux les aimer et ça les change pas, ils sont fermés à l'amour, ça les touche pas, et t'en as d'autres ça les fait s'épanouir, ça les change complètement. C'est qu'on est pas égal sur le coeur. On sent pas tous pareil. Y a rien à faire. C'est comme ça. L'amour c'est juste un cadeau que tu fais, mais que tout le monde veut pas ou peut pas recevoir.
Roberta elle est de dos, elle épluche les pommes de terre, elle fait un tas, elle les coupe en rondelles, elle les pose dans une assiette. Tu sais quoi, elle dit.
Quoi, elle demande Monique. 
Ben même si c'est un cadeau que tu fais, elle dit Roberta qui se retourne, que tu fais à des hommes qui en valent pas la peine, c'est un cadeau que tu fais à toi aussi, en fait, et surtout à toi, moi je trouve. Tu trouves pas.
Si, elle dit Monique. 
Emmanuel Adely. Mon amour

lundi 26 mars 2012

2 ou 3 choses que je sais d'elle


Nous avons échangé à peine quelques mots.
Et je ne connais pas son prénom. 
Mais j'en sais autant de son désarroi que l'amie proche à qui elle l'a livré, 
au téléphone. 

dimanche 25 mars 2012

La vie voyageuse (en Yamanote)

 La ligne Yamanote (山手線) est une ligne ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo. Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes. Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.

YOYOGI
Les jours bleus, elles ont rendez-vous à Yoyogi et, traversant la forêt coassante du temple Meiji, elles marchent jusqu'au parc. 
Elles choisissent avec soin l'arbre à l'ombre duquel elles épuiseront leurs désirs de paresse. 
Sur l'herbe que les pluies de la précédente saison ont rendu verte et grasse, elles étendent leurs nattes. 
La matinée suffit à peine à raconter leur semaine, décoder leurs rêves, rire de leurs travers, sonder leurs coeurs amoureux. 
Parfois seulement, elles tournent la tête, appuient mollement leur menton sur un coude et observent la prise de vue à l'autre bout de la prairie : les mannequins en costumes rayés, robes à fleurs et chapeaux, précédés d'un couple de chiens bien dressés qui prennent la pose sans se lasser. 
Des bribes de musique leur parviennent quand les corbeaux le permettent. Violon, trompette, saxophone... Les répétitions sont parfois dignes d'un concert payant. 
A midi, les enfants viennent s'ébattre joyeusement puis se calment le temps de vider du bout de leurs baguettes les boîtes-repas que leurs mères ont ouvertes. 
Elles aussi, elles dénouent les étoffes qui enferment leur déjeuner. Le thé est vert et frais dans le thermos, les boulettes de riz fourrées aux oeufs de poisson, au saumon ou à la prune amère. Leur salade est aux algues et aux graines de sésame. 
L'après-midi, elles tournent quelques pages des livres sans lesquels elles ne sortent jamais. Et si elles sont assez immobiles, il arrive qu'un papillon s'y pose. Ou une libellule. 
C'est l'heure où des couples de tous les âges s'enroulent côte à côte dans des plaids et vivent ensemble dans leur sommeil. 
L'heure où des jeunes gens, en bandes désordonnées, viennent répéter une pièce de théâtre, une chorégraphie, viennent lancer des freesbee colorés ou jouer à 1, 2, 3 soleil, font s'envoler des bulles de savon dans la lumière dorée, renouent avec le jeune âge qu'ils ont du  mal à quitter. 
L'heure où les mères endorment l'enfant tandis que les pères courent après un ballon en compagnie de l'aîné.
C'est l'heure où les amis, que leur date d'anniversaire réunit, débouchent une bouteille de vin, remplissent les verres d'alcool d'Okinawa. 

Il n'est pas encore temps de penser au retour, elles peuvent vivre comme si ce jour allait durer toujours, comme si la vie était lente et longue, si longue.

samedi 24 mars 2012

L'heure d'été

... c'est une brassée de fleurs sur ma table
comme sur ma chemise... 
En raison de la crise de l'énergie, on venait d'instituer l'heure d'été. Comme toute nouveauté, c'était un profond bouleversement. Les gens disaient qu'ils ne pouvaient plus digérer leur nourriture ou se montrer agréables avec leurs enfants et qu'il leur fallait des calmants pour venir à bout de journées ainsi modifiées. On interrogea un médecin; il conseilla de manger légèrement et de se coucher tôt jusqu'à ce que mentalement et corporellement on se fût adapté au changement. 
Mavis Gallant. Rue de Lille.

vendredi 23 mars 2012

Le cabinet des rêves 63

Il me reste 2000 yens. 
C'est le prix d'un stylo pailleté que j'ai vu et A. insiste pour que je l'achète. 
Elle me montre d'autres choses qu'elle aime bien (dont quelque chose en forme de livre mais qui n'en est pas un et qui n'a aucune utilité).
J'ai beau lui dire que je n'en ai ni envie ni besoin, elle le prend mal comme si je l'offensais personnellement. 

Rêve du 25 février 2012

jeudi 22 mars 2012

Manger : verbe transitif. Synonymes : absorber, avaler, bâfrer, becqueter, bouffer, boulotter, casser la croûte, casser la graine, consommer, croquer, dévorer, grignoter, ingérer, ingurgiter, s'alimenter, savourer, se nourrir, se repaître, se restaurer.

Quel est votre premier souvenir de nourriture, le premier plat que vous vous souvenez avoir vu, sinon mangé ? Eh bien, moi, je me souviens en tout premier lieu des petits déjeuners de mon enfance à San Francisco, au début des années 1880 : des céréales avec du sucre et de la crème, de la semoule de maïs à la mélasse et du fécule au miel.
Le livre de cuisine d'Alice Toklas.
Ouvrir un livre de cuisine à l'heure du thé me conduit jusqu'à la nuit tombée.
Alors, je peux le refermer et me passer de manger car je suis rassasiée.
Nous on aime ce qui est sucré, comme les bébés, on n'aime pas les gros morceaux de fromage, ou le pain dur, non, on aime bien tout ce qui est mou et moelleux, le pain spongieux, la crème glacée, la mousse au chocolat, la purée mousseline, les pommes de terre bien cuites, les confitures, le beurre de cacahuètes. A part un tout petit peu la viande, on n'a jamais l'occasion de mâcher. Et alors, qui ça dérange ? dit Jo. Oui mais à force de manger du mou, les types deviennent mous, dit Peter. Nous, on est mous ? dit Willie. Tu ne trouves pas ? dit Peter. Peut-être bien, dit Willie. Très mous ? dit Jo. Trop mous, dit Ed.
Gertrude Stein. Brewsie & Willie.

mercredi 21 mars 2012

Monographie du printemps

"Mais comme cette peau humaine d'un pays, image fréquentée, construite." François Bon

Les paysages sont des visages, 
de ceux qu'on pourrait décrire avec précision. 
Là une ride, là une entaille dans le menton. 

Même ceux qu'on a vus mille et une fois 
mais que plus jamais on ne verra. 
Là un virage, là un champ de colza. 

Même ceux qui nous paraissent maintenant si loin
si anecdotiques dans le grand tissu urbain. 
Là est la cabine où pour la première fois
j'ai entendu ta voix.

mardi 20 mars 2012

Tuesday self portrait (10:40)

soudain il n'y eut plus que moi et le soleil
Je suis persuadée que "la liberté" et que "le bonheur" sont des états intérieurs et qu'il est impossible d'établir des règles quant à ce qui peut être à leur origine, mais je pense cependant également qu'il existe, pour chaque individu, des circonstances extérieures qui conditionnent plus ou moins sa capacité d'éprouver ces sentiments.
Karen Blixen. Lettre à Thomas Dinesen. Ngong, 19/8/23

lundi 19 mars 2012

"Ainsi donc, l'un des principaux problèmes que rencontre l'homme qui garde les livres qu'il a lus ou qu'il se promet de lire un jour est celui de l'accroissement de sa bibliothèque"*

19 mars 2011
J'ai reçu aujourd'hui quelques autres courriels du Japon. Un auteur japonais m'a écrit que sa vieille mère, à Fukushima, va bien. Après ces catastrophes, certains livres sont soudain devenus pour lui inintéressants, sans qu'il puisse dire pour quelle raison. Il a commencé à dresser une liste des livres "résistants aux séismes", c'est-à-dire des livres qui gardent leur valeur au-delà des catastrophes. Une traductrice de Tokyo m'écrit qu'elle a redécouvert certains livres lorsqu'ils sont tombés de ses étagères. Depuis, elle est presque tout le temps assise par terre à lire. Les livres lui procurent un sentiment de sécurité et de continuité. 
Yoko Tawada. Journal des jours tremblants. Après Fukushima
Et puisque, même loin du JAPON, nos vies ne sont pas exemptes de secousses, "résistants aux séismes" est un critère de tri des livres que nous pourrions ajouter aux propositions de Georges Perec.

Un de mes amis conçut un jour le projet d'arrêter sa bibliothèque à 361 ouvrages. L'idée était la suivante : ayant, à partir d'un nombre n d'ouvrages, atteint, par addition ou soustraction, le nombre K=361, réputé correspondre à une bibliothèque, sinon idéale, du moins suffisante, s'imposer de n'acquérir de façon durable un ouvrage nouveau X qu'après avoir éliminé (par don, jet, vente ou tout autre moyen adéquat) un ouvrage ancien Z, de façon à ce que le nombre total K d'ouvrages reste constant et égal à 361 : 
K+X=361=K-Z
*Georges Perec. PENSER/CLASSER

dimanche 18 mars 2012

La vie voyageuse (en Yamanote)

 La ligne Yamanote (山手線) est une ligne ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo. Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes. Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.

HARAJUKU
A la gare, ils prennent la sortie Omotesando, ils descendent l'immense avenue, ils rejoignent le dédale des petites rues. 

Ils se laissent dériver au gré de leur après-midi sans projet, entrent et sortent des boutiques, photographient des détails, commentent les motifs des tee-shirts, regardent les vitrines des coiffeurs, montent dans les étages des galeries, font une pause en terrasse au yellow café. 

Il boit un cappuccino, elle boit un thé glacé. La saison est douce et dore la peau de leurs avant-bras. Ils pourraient rester longtemps encore : ils ont tant à se dire. 

Plus tard, la lumière décline et nimbe la ville d'or et de mélancolie. Ils s'arrêtent devant la boîte aux lettres qu'il reconnaît. Sur la photo, il l'avait aimée. Dans la réalité, il aimerait y écrire son nom. 

C'est l'été quand elle retourne à Omotesando. La chaleur est gorgée d'humidité et elle préfère la salle climatisée plutôt que la terrasse du café. Son livre ne la console pas de leur conversation et, sans lui, sa pause est écourtée. 
Elle cherche en vain la boîte aux lettres : l'adresse qu'il aurait aimé habiter a disparu. 
Une maison neuve, déjà, la remplace. 

Tokyo est un immense palimpseste où les souvenirs ressemblent à des rêves.

samedi 17 mars 2012

Une question de style

Lire en terrasse, face à la ville
et lever les yeux. 
Mais ce sont autant de personnages 
-d'autres personnages-
ceux qui
sur le trottoir

mordent dans un sandwich, s'embrassent,  se croisent sans se voir, examinent le plan de la ville, éclatent de rire au même moment, refont leur lacet, boivent à la paille une boisson colorée, vérifient fugitivement leur reflet dans une vitrine, s'enlacent (...)

et dont la vie n'est
 ni plus
ni moins
passionnante qu'un roman
car 
on le sait bien
en matière 
de vie
tout dépend du talent de l'auteur.
La lecture prit chez lui des allures de défi. Il releva ainsi les titres des ouvrages qu'il avait lus dans la semaine, le nombre de pages et le temps consacré à la lecture. 
"Soleil au zénith, 165 pages, 5 heures 16 minutes. 
Mithridate, 96 pages, 4 heures 32 minutes. 
Le Géranium et sa culture, 70 pages, 2 heures 10 minutes."
Il se faisait un devoir de ne sauter aucun passage : certains livres l'occupaient ainsi plusieurs jours. Il me demandait alors d'éclaircir pour lui quelques tournures difficiles ou bien il s'adressait à un spécialiste. Néanmoins certains développements longs et complexes pouvaient lui échapper partiellement mais, en tout cas, il mettait un point d'honneur à élucider -et à noter- sur un carnet à cet usage- chaque mot qui posait problème. 
En dépit de ces aléas, son record était de dix-sept livres par semaine; il espérait bien l'améliorer. Il dénombrait aussi les auditions de disques. D'une manière générale, Mell Fellops nombrait, évaluait, comptait tout : ses livres donc, mais aussi ses toasts, ses cigarettes, ses tours de roues, les mouettes, les pilotis qui soutiennent les pontons de bois, les fautes d'orthographe de ses correspondants. Il s'efforçait à rendre ses lectures plus homogènes mais, je lui en fis la remarque, sans résultat. L'accumulation l'intéressait trop. 

Jean-Marc Aubert. Aménagements successifs d'un jardin, à C..., en Bourgogne.

vendredi 16 mars 2012

Le cabinet des rêves 62

Je suis avec E. en rendez-vous avec la banquière qui lui dit que, pour remédier à ça, elle lui installe un système protecteur qui bloque tout accès à son compte par des intrus. 
Je comprends qu'il lui a raconté des problèmes qu'il a, effectivement, rencontrés. 
Elle ajoute le même système à mon compte car On ne sait jamais.

Rêve du 25 février 2012

jeudi 15 mars 2012

Celui qui n'a jamais entendu parler suédois n'a absolument aucune idée de ce que peut être cette langue, dont ils se servent pour tout, à tout moment.*


Qu'ils aient tous, l'un après l'autre, été tentés de poser leur plateau sur la table ensoleillée que je n'occupais que partiellement, 
ça, 
je peux le comprendre. 
Qu'ils m'aient tous, l'un après l'autre, adressé la parole d'emblée dans ma langue y compris quand ce n'était pas la leur, 
ça, 
je me l'explique moins.
Des barrières infranchissables se dressaient entre les gens à cause de la langue. On n'arrive pas seulement avec sa langue. Le pire, c'est ce que la langue apporte, des préjugés millénaires, des saletés qui se sont fourrées dans notre tête et dont personne désormais ne peut se débarrasser. On ne sait même pas qu'on a toute cette saleté dans le cerveau. 
Un jour je m'assis à la cafétéria de l'école pour essayer de parler avec un médecin turc, un type un peu plus âgé que moi qui venait d'arriver des prisons de Turquie. Nous essayâmes de parler de je ne sais quoi, de tout et de rien. Arriva un autre Turc qui savait autant de suédois que nous, c'est-à-dire rien, et qui essaya de traduire.
Et nous voilà tous les trois, avançant et reculant, sans arriver à rien nous dire. Nous ne pouvions pas, nous ne pouvions pas. Nous étions les uns en face des autres et il ne nous sortait de la bouche que des grognements de singe. Nous aurions pu nous mettre à rire, mais nous ne le fîmes pas. Nous n'eûmes même pas l'idée de rire, alors que c'était la seule chose à faire. Au contraire, nous devînmes sérieux, nous nous prîmes les mains, pour nous lamenter en silence d'être si loin, infiniment loin les uns des autres, loin et enfermés chacun dans sa langue. 
*Carlos Liscano. La route d'Ithaque.

mercredi 14 mars 2012

mon 
chéri,


j'ai aimé ton Moi aussi !
quand je t'ai dit
que j'avais rêvé de nous cette nuit

mardi 13 mars 2012

Tuesday self portrait (sans rendez-vous)

Paris, 14 mars 1942.
Une coiffeuse, à qui la Doctoresse parlait du bombardement, lui dit : 
"Je n'en ai pas peur. Les morts sont plus heureux que nous! 
-Mais vous n'en savez rien ! 
-Si ! Ce qui me le fait penser, c'est qu'aucun n'est jamais revenu."
 Kirchhorst, 12 mai 1942.
Suis allé en voiture chez le coiffeur. Là, conversation sur les prisonniers russes que l'on prend dans les camps comme main-d'oeuvre. 
"Il doit y avoir de sales types parmi eux. Ils prennent la pâtée des chiens pour la bouffer !"
Noté mot pour mot.

Ernst Jünger. Premier journal parisien.


lundi 12 mars 2012

un lundi au soleil...

... c'est s'éveiller comme dans une chanson populaire
 La hausse du niveau de vie, tu parles, dit Jo, ça vous retombe sur le coin de la gueule. Moi je veux contrôler mon niveau de vie, je ne veux pas qu'il me retombe sur le coin de la gueule. Dans les journaux ils disent que quand on va rentrer chez nous on va avoir un niveau de vie plus élevé, ça veut dire encore combien d'achats à tempérament, plus tous les tracas et tous les soucis. C'est pas ça, dit Willie, c'est pas ça, nous on n'est pas comme ces putains d'Européens, nous on aime bosser. D'accord, dit Jo, mais est-ce qu'il n'y a pas autre chose à faire que de fabriquer tous ces gadgets ? Non, pas pour un Américain qui se respecte, dit Willie, crois-moi, on veut bosser à fabriquer des gadgets et c'est ça qu'on va tous faire, on fera la queue pour trouver un boulot qui consiste à fabriquer des gadgets, et quelqu'un d'autre fera la queue pour trouver un boulot qui consiste à les vendre à crédit. Et alors, dit Jo, on va épuiser toutes nos matières premières qui sont notre source de richesse. Exactement, dit Willie, et alors on sera tous morts et il n'y aura plus à se tracasser. 
Gertrude Stein. Brewsie & Willie

dimanche 11 mars 2012

La vie voyageuse (en Yamanote)

 La ligne Yamanote (山手線) est une ligne ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo. Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes. Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.

SHIBUYA
Elle tente de l'imaginer petit garçon Tokyoïte, courant du haut de ses cinq ans sur la terrasse du café au bord du canal. 

Un jour il fait nuit quand il arrive chez elle. Le vin dans le verre est rouge et chilien. Plus tard il s'endort dans le fauteuil. Les chats et les insectes dorment aussi. Pourtant, elle ne se sent pas seule. 

Elle sait, quand il dessine les mots qu'elle lui demande, qu'ils ne peuvent pas avoir la même vision du monde. Que rien dans la langue de l'un ne trouve d'exact équivalent dans celle de l'autre. Elle apprend l'approximation. Elle apprend à ne pas tout mettre en mots. Elle apprend à se taire. 

Il lui montre les réunions qui se succèdent dans les pages de son agenda. Il explique les désaccords, les prises à parti des directeurs, l'obligation des soirées aux boissons abondantes. 

Ils ont le même âge. Il dit qu'il paraît plus jeune. Elle le lui laisse croire. 

Au lycée, un fan-club s'était constitué autour de lui. Dont tous les membres étaient des filles. 
Et maintenant ?! 
Plus maintenant ! 

Il n'aime pas sa vie. Il voudrait en changer. Il n'a pas le temps de vivre. Il doit choisir entre vivre et dormir. 

Ils se donnent rendez-vous à Shibuya, près de la statue du chien Hachiko où des centaines de personnes s'attendent aussi. Tu es où ? Leurs voix parmi les autres, dans tous les téléphones, dans toutes les langues. 

Ils n'ont pas vu leur famille depuis dix-huit mois. Dix mille kilomètres la séparent de la sienne. Deux heures de train l'éloignent de sa ville natale.

De Shibuya, elle photographie ce que, sans elle, il ne voit pas. Rouille. Graffitis. Détritus. Il s'éloigne de quelques pas, fait comme s'il ne la connaissait pas. 

Ils traversent le carrefour immense. Ils sont dans la foule anonyme et compacte. Sur les photos des touristes. Corps parmi les corps.

A l'issue de leurs rendez-vous, elle le regarde s'éloigner. Il porte un costume et ses dossiers à bout de bras ou bien un jean et des gants de boxe dans son sac. 

Elle a l'impression que, dans tous les cas, c'est vers un ring qu'il va.

samedi 10 mars 2012

il dit :

Les cancers, c'est les meilleurs ! 
Moi, en plus, je suis dragon !

vendredi 9 mars 2012

Le cabinet des rêves 61

Je rêve que mon réveil sonne.

Rêve du 2 mars 2012

jeudi 8 mars 2012

Beaucoup de gens n'y pensent pas mais c'est important. L'ordre est important.

Il y en a qui font la vaisselle un peu n'importe comment, qui commencent par une énorme casserole qui accapare quasiment tout l'égouttoir, qui posent chaque foutu verre sur l'évier. 
En somme, pourquoi de tels individus vivent-ils  ? On peut se le demander.
Jonas Gardell. Et un jour de plus.

mercredi 7 mars 2012

LE TEMPS RETROUVÉ

CHAPITRE 4 : 20 ANS APRÈS
L’ellipse narrative est l'omission d'une séquence temporelle dans une action dramatique afin, soit d'accélérer le récit pour des raisons de commodité, soit pour dissimuler une information au lecteur ou au spectateur. L'expression « Deux semaines plus tard » révèle la présence d'une ellipse dans le récit.
En littérature l'ellipse est très employée, surtout dans le roman ; elle est un moyen particulier pour l'auteur de créer son univers et son action. La plus célèbre des ellipses est celle permettant à Gustave Flaubert dans L’Éducation sentimentale de faire l'économie de plusieurs années de la vie du personnage principal Frédéric Moreau, à la suite de la mort de Dussardier tué par Sénécal et qu'il résume par une phrase :
« Il voyagea, il connut la mélancolie des paquebots.... »
(source : Wikipedia)

mardi 6 mars 2012

Tuesday self portrait (terra incognita)

Tourner le dos à la table des nouveautés et choisir un livre sur la seule foi de son titre ou de quelques mots séduisants au gré des pages feuilletées, sans me soucier ni de la notoriété de son auteur, ni de son année de parution me fait connaître une hésitation que je ne serais pas surprise de savoir que certains aventuriers éprouvent en découvrant une terre inconnue et belle : 
garder le secret ou le partager ?
L'intérieur de la maison, dès cette période de l'aménagement, offrait au visiteur naïf le reflet bizarre des tendances littéraires du propriétaire des lieux. 
Il avait commencé à rassembler divers textes et documents qu'il épinglait au mur, le matin très tôt sûrement. Ainsi le mur gauche du couloir était tapissé de ces fragments de textes, de phrases, de mots qui s'organisaient ou se désorganisaient en un puzzle de deux mètres sur deux, encadré d'un large ruban adhésif noir. Le format des feuilles, la couleur du support, celle des caractères rendaient unique chacun des textes, numérotés de surcroît. Je lisais le mur à mes moments perdus mais, dans son esprit, il n'était pas nécessaire de le faire et il avait écrit un descriptif du panneau entier, soigneusement collé à l'extérieur de la bande noire. A travers ce texte, de sa main, circule son errance maniaque. 
Je le recopie ici partiellement, par égard envers le lecteur :

1. LISTE DES TEXTES TIRÉS D'AUTEURS (1, 7, 8, 10, 15, 17, 20, 21, 24)
    a) imprimés/collés (1, 10, 15, 21)
    b) recopiés (7, 8, 17, 20, 24)
        *sur carton (7, 8)
        *sur papier (20)
        *sur  papier/collé sur carton (17, 24)
         a') plus de 15 par 15 (20)

Ici un trait qui barrait toute la largeur de la feuille... Au-dessous il avait recommencé son travail sous une forme différente. 

1. PLUS DE 15 PAR 15
       a) textes tirés d'auteurs (20)
       b) collages ou avec intervention personnelle ((4, 11, 14, 16, 23)
       *sur carton (4, 16)

De nouveau, il avait tiré un trait et la liste reprenait, pour la dernière fois mais, comme les deux autres, restait inachevée. En voici le début : 

TEXTE 1.  Format 10 par 12. Borgès. Deux phrases. Imprimé. Collé sur carton. 
TEXTE 2.  5 par 30. Sur carton. Personnel. Encre de Chine. Fond craie grasse. 
TEXTE 3. 12 par 15. Sur plastique. Personnel. Feutre.
TEXTE 4. 20 par 18. Collage sur carton. Mots journaux. Fond craie grasse. 

Le panneau alla jusqu'à comporter une trentaine de textes, brefs ou longs, poétiques ou fastidieux (tel un certain collage de résultats de football).

Jean-Marc Aubert. Aménagements successifs d'un jardin, à C..., en Bourgogne suivi de Argumentation de Linès-Fellow.

lundi 5 mars 2012

Un (jeune) homme de lettres

En voyant l'homme encore jeune ajouter encore une fois
de la mayonnaise à son sandwich qui en contenait déjà
 j'ai pensé 
:
peut-être lui sera-t-il un jour moins aisé
de glisser
le Pléiade de la correspondance de Flaubert
dans sa poche arrière. 
Mais la vie est si courte ! -Il me prend envie de me casser la gueule quand je songe que je n'écrirai jamais comme je veux, ni le quart de ce que je rêve. Toute cette force que l'on se sent, et qui nous étouffe, il faudra mourir avec elle et sans l'avoir fait déborder. C'est comme les envies de foutre. On soulève en idée tous les cotillons qui passent. Mais dès le cinquième coup, tout sperme manque. Alors le sang vient au gland, mais la concupiscence reste au coeur. 
Gustave Flaubert. Lettre à Louis Bouilhet. Trouville, 24 août 1853.

dimanche 4 mars 2012

La vie voyageuse (en Yamanote)

 La ligne Yamanote (山手線) est une ligne ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo. Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes. Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.

EBISU
C'est une habitude, à présent : d'avoir l'impression d'être dans la salle à manger du cuisinier quand elle va au restaurant. 
Elle aime les gestes précis du maître sushis quand il attrape dans la vitrine les filets à la demande, passe sa lame dans la chair tendre, berce le morceau de poisson avant de le déposer doucement sur le petit lit de riz. 
Elle aime quand le chef du restaurant italien tranche rapidement les légumes frais qu'il fait ensuite sauter au wok, dans les flammes intenses, avant de les déposer dans l'assiette de spaghettis qu'il lui tend. 
Elle aime le cercle de pâte parfait qu'étale sur la crêpière l'employée du café avant de fourrer les galettes de fromage et de poivrons rouges en ayant l'air de penser à autre chose.

C'est au restaurant de tofu d'Ebisu, assise à la grande table en marbre face à l'atelier de fabrication qu'elle se dit qu'elle pourrait passer ses journées de repos à regarder les autres travailler. 
Elle observe la cuisinière et lui envie sa concentration détachée, son savoir-faire décontracté, ses gestes tranquillement précis et assurés. 
Cuisiniers, pâtissiers, ils travaillent tous en public mais rien ne trouble leur rythme mesuré et leur sérénité, comme si les vitres étaient sans tain. 
Après avoir vérifié la température du bain marie des crèmes au tofu, après avoir allumé le four pour la cuisson d'une autre préparation, la jeune femme ouvre un paquet de raisins secs.

 Soudain, elle la voit en porter une poignée à sa bouche, en douce.

samedi 3 mars 2012

il (me) dit :

hey
madame
 ! 
vous voulez pas m'adopter 
??????????????????????????????????????

vendredi 2 mars 2012

Le cabinet des rêves 60

"-Tu fais des rêves ?
-J'en ai pas fait un seul depuis un bon bout de temps -enfin, pas un seul de neuf. Ce ne sont que des reprises. Je les connais par coeur. Parfois je pique du nez en plein milieu tellement ils sont chiants."
Geoff Dyer. La couleur du souvenir.
Je suis dans la maison de la Source. 
Il fait très sombre alors que c'est le jour et je ne suis pas très rassurée. 
J'entends du bruit au rez-de-chaussée et je descends. 
Je vois qu'il y a de la lumière dans la cuisine. 
Je pense que ma soeur est passée et n'a pas éteint avant de partir. 
Or, elle est encore là.
Elle a fait des tartes dont une aux figues. 
Elle me répond avec détachement : A peine quand je lui demande si elle y a mis du sucre. 
Je pense Quel gâchis car je vois qu'il ne reste que quelques fruits qu'elle n'a pas utilisés et que je pourrai, donc, manger. 

Rêve du 25 février 2012

jeudi 1 mars 2012

tu penses que je passe trop de temps à toujours reprendre du début, tu es comme les gens avec les histoires, ils voudraient tous qu'on passe plus vite sur le milieu, mais non, mais non, ça va trop vite, il faut ralentir, toi évidemment tu veux savoir la fin mais il n'y en a pas, de fin, il faut prendre les choses plus lentement,*

*Gertrude Stein. Brewsie & Willie
Ma cousine a appelé sa fille Marilou. 
Il ne se lève plus du tout. Tu imagines ce que c'est que de vivre avec quelqu'un qui ne quitte plus son fauteuil ?
Il nous a dit qu'avec tout ce qu'il fallait économiser, c'était comme si on était payés 4000€ par mois ! 
Vous vous rendez compte ??? Il m'a demandé "Madame, vous voulez coucher avec moi ?" alors qu'il était 8H30 du matin !!!
Oui, Marilou en un seul mot, c'est joli, hein ?
C'est mieux si tu peux m'envoyer ce fichier comme ça je pourrai le corriger directement. 
Qu'est-ce que tu manges, chou ???

Chaque fragment de vie entendu à la cafet' ressemble à l'épisode d'un feuilleton
dont je n'ai pas suivi le début,
dont je ne connaîtrai jamais la suite. 
Pourtant, il n'y a ni suspens, ni réelle surprise.
 les amours les déménagements les collègues les naissances les deuils
... Rien qui n'ait déjà été écrit dans les livres,
en somme.